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Unio de Pagesos : sur les traces d'une alliance transfrontalière paysanne en Pyrénées-Orientales

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Unio de Pagesos : sur les traces d'une alliance transfrontalière paysanne en Pyrénées-Orientales

Le mouvement paysan qui a agité l'Europe il y a un an n'est peut-être que le début d'une longue crise agricole qui va s'installer dans le temps avec ses vagues d'intensification et ses périodes de retrait. Une crise profonde tant les enjeux qui secouent la profession sont multiples et souvent paradoxaux. De la logique même de libre échange à la question des réglementations administratives et sanitaires, les raisons de sortir les tracteurs des fermes ne manquent pas, mais se heurtent presque systématiquement à des représentations inconciliables. Et dans ce champ de tension est venu se mêler pas à pas le jeu politique. Si bien que, depuis un an, les lignes qui traversent le monde syndical se sont nettement clarifiées. D'un coté le macronisme agro-industriel de la Fédération, d'un autre le rapprochement assumé de la Coordination Rurale avec l'extrême droite, d'un autre enfin la gauche paysanne incarnée par la Conf' qui cherche sa place dans le vacarme agricole. Et entre ces trois polarités, des dizaines de milliers de paysannes et paysans non affiliés et pour beaucoup isolés dans leurs fermes.

Si le surgissement agricole de l'hiver 2023 pouvait dans ses premières lueurs laisser croire à un mouvement inassignable, l'échéance des prochaines élections de chambre en janvier 2025 laisse aujourd'hui peu de place au débordement des structures syndicales à la manœuvre. Le mouvement que toute la presse annonce depuis plus d'un mois devrait très logiquement ressembler à une série de démonstrations de force dans la course au scrutin. Reste qu'il y a un an, plusieurs expériences de luttes ont cherché à déjouer le caractère trop attendu de la mobilisation portée par les structures et c'est peut-être en regardant ces expériences qu'on trouvera les prémisses de ce qu'on appel de nos vœux : un mouvement paysan autonome, capable d'engager un rapport de force durable avec le pouvoir économique et politique.

En témoigne cette rencontre singulière dès janvier 2024 entre des vignerons des Pyrénées Orientales (rattachés à la Conf') et le syndicat Unió de Pagesos, majoritaire en sud Catalogne. Coté français, les vignerons Conf' avaient d'abord participé fin janvier au blocage de l'A9 entre la frontière catalane et Narbonne. Une participation sans drapeaux, aux cotés des paysans et vignerons du Midi, principalement représentés par le Syndicat Vigneron (émanation viticole de la Fédération). Quelques jours plus tard, le 26 janvier, ils décidèrent de bloquer les transporteurs au péage du Boulou, cette fois-ci en annonçant l'action et en ramenant les drapeaux Conf'. C'est à l'issue de cette action que viendra l'idée d'entrer en contact avec les paysans de Catalogne sud, où le mouvement commence à son tour à sortir des fermes. En Catalogne sud, le syndicalisme paysan est dominé par un syndicat, Unió de pagesos, principal représentant de la profession (70% de l'électorat paysan), du petit paysan bio à la ferme industrielle. Si la diversité de ses adhérents met en évidence un rapport ambigu à la production, ce syndicat reste marqué par une ligne politique très claire, issue de la tradition anti-franquiste et indépendantiste. C'est d’ailleurs le principal moteur de l'alliance avec la Conf' coté catalan, la peur de laisser s'installer dans le monde paysan l’idéologie d'extrême droite qui grandit aussi par-delà les montagnes.

L'alliance se construit d'abord par une série de rencontres, en Catalogne et à Perpignan, à l'occasion de tables rondes et parfois de conférences de presse. Puis elle se matérialise le 28 février 2024 à la frontière, où se rejoignent les tracteurs de la Conf' avec ceux d'Unio de Pagesos, et de Revolta Pagesa, une dynamique plus autonome, à la pointe des actions paysannes en Catalogne. Par de nombreux chemins de traverse, les tracteurs investissent le péage du Boulou de part et d'autre de la frontière et le bloquent pendant une journée, demandant d'une même voix des outils de régulation du marché et un prix minimum d'entrée pour les produits hors Union Européenne. Depuis cette action commune, des liens réels existent, sur la base d'un conflit politique qui traverse, dans toute l’Europe, la profession agricole. Ce conflit pose une question majeure : Peut-on abandonner le monde rural aux mains de l'extrême droite ? En France, la poussée d'extrême droite ne fait aujourd'hui plus aucun doute, et le conflit agricole en est devenu ces derniers mois un des moteurs avec la Coordination Rurale comme principale courroie de transmission. La critique radicale évidente et nécessaire de l'agro-industrie et des pesticides devient illisible, écrasée par le récit hégémonique qui oppose urbains et ruraux, écolos et agriculteurs. Á nos portes pourtant la profession s'organise, tisse des alliances autour d'un socle commun simple et inaliénable contre la vague d'extrême droite qui meurtrit nos campagnes. Mais qu'est-ce que signifierait aujourd'hui un front contre le fascisme à l’intérieur même du conflit paysan ? Ne commencerait-il pas par des solidarités internationalistes entre paysans et organisations syndicales, par des actions paysannes transfrontalières contre le libre échange ? La question est ouverte.

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