Récit du blocage paysan de Soufflet/InVivo au Port de La Rochelle
À l'aube du samedi 20 juillet 2024, un groupe de paysannes et paysans, accompagnés de militants écologistes et autonomes, de syndicalistes et d'habitants, ont surgi des fermes de l'île de Ré pour traverser le pont en direction du port de la Pallice, à la Rochelle.
Vous pouvez voir la vidéo de cette action du point de vue des paysans et paysannes qui y ont participé en cherchant "Le pont, le port et les paysan.nes" sur Youtube : https://youtu.be/Gbjlk4IWbBk?si=Av12ULJHjhJoAtZw
Nous avons surplombé les silos géants et les infrastructures logistiques du port sur notre passage. Les tracteurs sont passés devant les immenses cathédrales de béton de la SICA Atlantique, et ont descendu les avenues de délestage vers le nord jusqu'aux portes des bâtiments de l'entreprise Soufflet. Là, nous avons installé un blocage paysan avec près de 600 militants, militantes et syndicalistes alliés, en attendant de retrouver l'ensemble des manifestantes et manifestants anti-bassines plus tard dans la journée.
La Pallice est le deuxième port exportateur de céréales en France, et le dernier maillon de la chaîne irriguée par les méga-bassines. Dans le Poitou, l’eau utilisée pour l’irrigation agricole est principalement destinée aux cultures de céréales intensives comme le blé et le maïs, et celles-ci sont massivement exportées via le port. En 2018, alors que le Groupe Soufflet venait d'investir 30 millions d'euros dans un nouveau silo portuaire à la Pallice, le directeur Jérôme Landriau écrivait une lettre au commissaire enquêteur pour défendre le projet de construction des mégabassines du secteur de Mauzé-sur-le-Mignon. Il le disait lui-même : il avait besoin d'eau pour écouler les productions de la région à l'exportation, pour charger des bâteaux de plus en plus gros et répondre aux attentes de ses clients étrangers. Ce sont donc bien les clients étrangers qui comptent le plus dans cette histoire : pas les agriculteurs de l'arrière-pays. Au croisement des importations de soja et des exportations de céréales, des flux de pesticides et d’engrais chimiques, le port est un point nodal du système qui fait primer la spéculation financière et le libre échange sur la préservation des communs que sont la terre et l’eau, la juste rétribution des travailleuses et travailleurs de la terre, la défense de la biodiversité, l’accès populaire à une alimentation qualitative et la solidarité internationale.
En bloquant l'un des sites de Soufflet Négoce, nous avons bloqué ceux qui s'accaparent les aliments de première nécessité comme le blé pour en faire de l'argent. Ceux qui s'accaparent la valeur des céréales produites par les agriculteurs pour de la spéculation financière. Ceux qui détruisent les revenus des paysannes et paysans pour faire grossir les leurs. Les grands négociants et les méga-coopératives ne sont plus des outils pour les agriculteurs depuis bien longtemps, mais bien des entreprises privées aux mains des banquiers comme le Crédit Agricole, des cabinets de conseil comme Ernst&Young ou Deloitte, et des PDGs. Soufflet Alimentaire a été racheté par Avril, dont le président est Arnaud Rousseau. Soufflet Négoce a été racheté par InVivo Trading pour former Soufflet Négoce by InVivo, l'un des plus gros négociants internationaux de France, et dont le PDG est Thierry Blandinières. Un article de Challenges qui le qualifie d'«homme le plus puissant de l’agriculture française», décrit son bureau au 5ème étage d'un immeuble du 16ème arrondissement à Paris avec un écran géant pour ses réunions à distance. N'est-ce pas là un comportement de grand patron et de spéculateur, bien éloigné depuis sa tour d'ivoire de la réalité du monde agricole ? A l'opposé, comment un agriculteur, accablé par un travail à la ferme de plus en plus mal rémunéré, peut-il espérer peser face à de tels empires ?
Thierry Blandinières est aussi celui qui s'est acharné contre l'ouvrier et syndicaliste Christian Porta de la boulangerie industrielle Neuhauser en Moselle, bafouant au passage le droit du travail, jusqu'à aller contre l'avis des Prud'hommes. L'usine est actuellement en grève pour protester contre les licenciements de quatre des collègues qui avaient soutenu Porta pendant sa mise à pied, et dont les motifs ne sont clairement que de basses vengeances liées à la réintégration du syndicaliste. "L'homme le plus puissant de l'agriculture française" est en roue libre donc, contre ses propres salariés. Peut-on décemment imaginer qu'il traite différemment les agriculteurs, ceux-là même qui travaillent d'arrache pied pour remplir des silos toujours plus grands sur le port de la Rochelle afin de spéculer sur les variations de prix du blé sur les marchés internationaux.
L'agro-industrie accapare et privatise l’eau, marchandise l’alimentation. En solidarité pour les camarades grévistes de Neuhauser, avec les travailleurs de l'agro-alimentaire et tous les agriculteurs et agricultrices appauvris par le secteur agro-industriel, bloquons-la !