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« Une honte ! » Paroles d’agriculteurs en galère

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« Une honte ! » Paroles d’agriculteurs en galère

Pour donner suite à notre chronique sur la misère sociale dans le monde agricole, nous publions ici des extraits de témoignages anonymisés de personnes ayant écrit au site « Recours Paysan ». Créé suite à la diffusion du texte de Samuel Chabré « J’ai vu pleurer mon père », ce site internet vise à accompagner et mettre en lien des agriculteurs confrontés à des situations de détresse sociale. Loin de tout misérabilisme, la diffusion de tels témoignages dans Correspondances Paysannes vise à rappeler les véritables problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs de la terre.

Premier témoignage

« J’ai été agricultrice toute ma vie, depuis mon mariage avec mon mari. Nous avons eu notre lot d’épreuves (trop long à raconter !). À 67 et 71 ans, à cause de notre métier, nous avons un corps usé (prothèses aux genoux et aux hanches), épaules qui auraient besoin de prothèses, dos en compote... La MSA m’a donné l’invalidité en 2007. Mais avec 380 euros par mois, j’ai dû continuer à travailler. J’ai arrêté dès que j’ai pu. Mon époux est dans le même état, il n’a jamais rien demandé. Une honte ! Vu la pénibilité de ce travail, sans jour de repos, sans voyage, maintenant que nous pourrions un peu en profiter, nous avons des soucis de santé qui durent. Nous avons aimé notre métier et lui avons tout donné, même notre santé... »

Deuxième témoignage

« Je vous écris pour trouver du soutien sur la gestion de la situation de mon père. Né en 1962, il a créé son entreprise agricole dans les années 90. Suite à de multiples accidents de travail, il est passé devant le médecin expert de la MSA en octobre 2022. Il est déclaré invalide à 100 %. Il a donc perçu une pension d’invalidité par la MSA à ce titre. Mon père payait en parallèle une assurance pour le protéger en cas d’invalidité auprès de GAN Assurance. Les montants des cotisations n’ont fait que croître pour atteindre les 400 € par mois ! Mon père ne sachant pas utiliser internet, ni s’occuper de ses démarches administratives, je considère ce contrat comme un vol (abus de faiblesse lors de la signature). Suite à sa demande, il est passé devant un médecin expert de GAN et n’a jamais perçu d’indemnités d‘invalidité de la part de l’assureur. Mon père vivait avec 650 € par mois dont 400 € d’assurance à payer ! Aujourd’hui, ayant dépassé les 62 ans, il ne perçoit plus sa pension d’invalidité. Il touche une retraite de la MSA de 243 € par mois pour plus de trente années de cotisations ! »

Troisième témoignage

« Mon mari a fait deux AVC. Il touche 900 € par mois et moi aussi je touche une pension d’invalidité. Je ne peux pas arrêter la ferme. Je touche 600 € de revenus à la ferme. Nous avons ça pour vivre avec un enfant de 16 ans à qui il faut payer ses études ! On ne peut même plus faire de cadeaux à nos petits-enfants. J’en ai marre de cette situation mais je ne peux pas arrêter, il me faut travailler encore 12 ans pour toucher ma retraite… »

Combien de situations similaires, partout dans nos campagnes ? Selon l’INSEE, plus de 22 % des exploitants agricoles vivaient sous le seuil de pauvreté monétaire en 2022. Alors que l’épidémie de suicide continue de faire rage dans la profession ; personne ne sera surpris si demain, un agriculteur (ou un proche) craque, pète un plomb, prend son fusil et retourne toute cette violence sociale subie contre ceux qui en sont responsables. Récemment aux États-Unis, Luigi Mangione a exécuté le PDG de la principale compagnie d’assurance privée du pays, d’une balle dans la nuque, en pleine rue, à la sortie d’un hôtel de luxe. Dans une lettre expliquant son geste, il écrit : « je m’excuse pour les traumatismes que j’ai pu causer mais il fallait que quelqu’un le fasse. (…) Depuis des décennies, le problème demeure. Ce n’est plus une question de prise de conscience, mais de rapport de force. De toute évidence, je suis le premier à l’affronter avec une si brutale honnêteté. » Et si le prochain Luigi Mangione était un agriculteur au bout du rouleau ? Pour dépasser le désespoir, le désir morbide de suicide ou de vengeance, nous avons besoin de nous retrouver et de nous organiser collectivement. Seule la solidarité et la lutte pourront restaurer la dignité du travail agricole et imposer la justice sociale.

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