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Témoignage Samuel Chabré : "j'ai vu pleurer mon père"

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Témoignage Samuel Chabré : "j'ai vu pleurer mon père"

Nous republions ici le témoignage poignant de détresse paysanne qui a récemment fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Par la suite, un site intitulé "Recours paysan" a été créé pour recueillir la parole des paysans en difficulté et organiser la riposte. Depuis des années, des structures issues du mouvement des paysans travailleurs comme SOS-Paysans, assurent partout la solidarité avec celles et ceux qui tombent au fond du trou, face aux créanciers, au Crédit Agricole, même au SAMU Social National lancé par un influenceur d'extrême droite, qui capitalise sur ces détresses quotidiennes silencieuses.


François Chabré est paysan. Il est installé avec sa compagne depuis 1994 à Ambierle dans la Loire. Toute sa vie, il a élevé des cochons dans la ferme collective de la Martinière. Sur 13 ha, elle produit également du vin et du maraîchage en bio. Son corps usé par le sacerdoce paysan l'empêche désormais de travailler. Alors que la pension d’invalidité proposée ne lui assure pas de quoi prendre sa retraite, son fils Samuel a écrit cette tribune poignante pour attirer l’attention sur cette injustice sociale qui touche de trop nombreux paysans.


Hier j’ai vu pleurer mon père dans la cuisine, un papier à la main.


Ce papier, c’est la réponse à sa demande d’indemnisation à une assurance privée pour laquelle il a cotisé, parce qu’il est considéré comme invalide à plus de 35%.

Il faut savoir que mon père est paysan, qu’il fait partie de celles et ceux qui triment en silence pour nous nourrir.

35% c’est juste un chiffre, alors je vais vous décrire ce que cela veut dire en vrai : ce sont des mains flinguées par l’arthrose, tu peux plus les plier, c’est un genou avec une prothèse, tu peux plus grimper des escaliers normalement, c’est une épaule qui se répare d’une rupture des ligaments, tu peux plus l’utiliser pour porter des charges lourdes.

Mon père ne demande pas l’aumône. Mais ce matin, je l’ai vu pleurer de rage et d’humiliation. Sa première réaction à cette lettre a été de fondre en larmes, parce que c’est une condamnation à continuer à travailler, à continuer à foutre en l’air sa santé, c’est une condamnation à mort.

Moi j’ai dû prendre mon père dans mes bras pour lui dire que ça allait aller, mon père qui a 60 ans, et qui m’a dit « ça donne envie de se flinguer ».

Au fait, je ne vous ai pas donné le prix. La somme de ses 45 dernières années à trimer dans les champs, c’est 380€ par mois que lui propose l’assurance privée pour ne plus exercer son travail. Couplée à la pension d’invalidité reversé par la MSA, la Sécurité Sociale des agriculteurs, il arrive à tout juste 1019 euros par mois. Moins qu’un SMIC, largement insuffisant pour lui permettre de payer un salarié.

C’est le prix pour avoir passé plus de 40 ans à nourrir des gens, à être ces premiers de cordée dont on nous parle tant quand le monde est à l’arrêt, et qui disparaissent tout aussi rapidement quand il se remet en route. Et que chacune des réformes néolibérales de ces 50 dernières années viennent détruire, sans cesse.

Je mets au défi quiconque de venir travailler dans un champ à 60 ans, avec de l’arthrose dans les mains, un genou flingué. Et on sait bien que ce qui vient de se passer là chez nous, dans l’intimité de notre petite cuisine, ça se passe en vrai, en ce moment, chez des ouvrier.e.s, des paysan.e.s, des infirmier.e.s, des personnes qui déplacent des choses lourdes, pour qui leur corps est souvent leur seul bien. Honte à vous Crédit Agricole, et Predica, on ne va pas se gêner de vous nommer. Une structure qui était « la banque des paysans » et qui clairement se retourne contre eux depuis tant d’années. Bravo, continuez à faire partie de cette clique qui font crever celles et ceux qui nous nourrissent. De notre côté, on va bien sûr se battre.

Samuel et sa famille ont lancé une plateforme en ligne https://recourspaysan.fr/ pour recueillir le témoignage des personnes qui seraient dans la même situation, ou veulent apprendre à faire valoir leurs droits.

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