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Lettre d’un paysan abstentionniste

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Lettre d’un paysan abstentionniste

Nous avons reçu une lettre d’un paysan qui s’est abstenu de voter aux dernières élections de la Chambre et que nous souhaitions vous partager.

« Nous sommes paysans. C’est à dire que nous cultivons des terres, nous élevons des animaux, nous transformons nos récoltes, notre lait, la viande de nos bêtes. Personne n’ignore ce qu’est notre métier. Personne, sauf peut-être nous-mêmes. Et si le doute est permis, c’est parce qu’aujourd’hui notre métier tient grâce aux primes qu’on arrive à arracher, aux dossiers PAC qu’on arrive à remplir, aux saloperies qu’on pulvérise sur nos terres, et au bon vouloir de ceux qui façonnent cette idée douteuse : la « Ferme France ».

Ce qu’on ne peut plus ignorer en revanche, c’est que tous les jours aux moins 10 collègues jettent l’éponge, que nous étions 100 000 de plus il y a 10 ans et que nous serons sans doute 100 000 de moins dans 10 ans. Nous disparaissons à petit feu pour laisser place à l’agriculture de demain. Celle de l’accumu- lation du foncier, des fermes usines, de la cogénération, de la robotique et des placements financiers. Une agriculture qui n’est pas faite pour nous.

Depuis un an, on a beaucoup parlé de nous, de notre isolement. On a regardé nos tracteurs sortir des fermes, on a redouté notre colère et notre détresse pendant quelques longues journées d’actions qui promettaient de devenir incontrôlables. On a cru percevoir le début d’une révolte agraire, d’une jacquerie contemporaine aux portes des préfectures. Mais très vite la colère s’est évanouie dans le dialogue. Normes, libre échange, revenu, autant de questions sur lesquelles disaient-ils, il suffisait de s’entendre, autant d’arguments qui se livraient bataille dans un débat déjà joué.

La politique est ainsi faite qu’elle a besoin de mise en scène, elle a besoin d’un récit qui enferme ses personnages dans un rôle. Aujourd’hui, des couloirs du parlement au monde agricole, le spectacle de la politique repose sur les mêmes figures. Celle de l’irresponsable, qui est dangereux pour ses pairs, celle de l’idéaliste, qui est hors de la réalité, et celle du rationnel, qui détient la ligne raisonnable au milieu du chaos. Et ce spectacle, dont nous sommes malgré nous les acteurs, a besoin de carburant pour maintenir son public en haleine. Ici, un grand débat, là, une démonstration de force, là encore, une séquence électorale. Nous y sommes, le moment tant attendu, le clou du spectacle, 2,2 millions de voix potentielles [tous collèges confondus... mais 400 000 sur celui qui compte vraiment] pour redessiner le visage de la représentation syndicale agricole.

Une année de mobilisations sur les routes, dans les villages, aux portes de Paris. Une année de batailles médiatiques. Une année de promesses défaites une par une. Mais surtout une année de calamités dans les champs, dans les élevages. Tous les ingrédients étaient réunis pour pimenter le scrutin.

Pourtant, à nouveau, moins de la moitié des paysans ont donné leur voix. Rien n’est venu briser le silence majoritaire. Dans la cacophonie politique, nous sommes resté aphones. Ce nous-là, n’a pas d’autre nom que celui de l’abstention qu’on lui prête. Il est la masse silencieuse qui fuit la politique et ses spectacles. Mais ce nous-là n’est pas moins paysan que les autres, et son silence dit quelque chose de ce qu’il n’arrive pas à rallier. Il dit que ceux qui se sont présentés à lui pour représenter sa colère n’ont pas su le convaincre. Il dit, peut-être sans le vouloir, que ce qui se joue au fond, ne se joue pas dans les instances agricoles, qu’elles existent moins pour sauver les paysans que pour finir de les liquider. Il dit qu’il faut cesser de conforter le pouvoir de ceux qui orientent son existence, qui la conditionnent à des réalités qui ne sont pas les siennes. Mais alors, dit-il que rien n’est encore joué ? Dit-il qu’au silence succédera le vacarme ? Que le spectacle sortira de lui même ? De son théâtre ? Descendra-t-il dans la rue, non plus pour montrer sa force, mais pour l’utiliser ? Cette année nous allons commémorer les 500 ans de la mort de Thomas Müntzer, et célébrer « la guerre des paysans » qu’il a appelé de ses vœux, et qu’il a livré avec tant d’autres. Célébrons-là avec panache ! »

Illustration : Albrecht Dürer, Projet de monument aux paysans révoltés, du « Manuel de Mesure », publié en 1525

B. Paysan en Loire Atlantique

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