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γεωργικό κ ίνημα

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γεωργικό κ ίνημα

Cet article est issu d’un entretien réalisé avec Thomas Moschos au début de l’année 2025 et illustre que le mouvement agricole que nous connaissons depuis plus d’un an ne se cantonne pas à la France ni même à l’Europe de l’Ouest, et que dans chacun des pays, les problématiques et les revendications se répondent.

Thomas Moschos est paysan en bio à Mavrochori, un petit village de la région de Kastoria, au nord de la Grèce. Avec son frère jumeau, son père et deux salariés, ils élèvent des brebis et des chèvres, ainsi que quelques vaches à viande, sur 11 ha, transforment leur lait en fromage directement à la ferme et cultivent aussi quelques hectares de céréales en non-labour.

Thomas s’est fait connaître sur la scène européenne à la fin de l’année 2023 en remportant le titre de « Meilleur agriculteur bio de l’année », une récompense décernée par l’Union Européenne, le COPA COGECA (antenne européenne qui regroupe la FNSEA et les gros syndicats d’exploitants européens) et IFOAM (fédération des agriculteurs bio au niveau européen). S’il a connu les dorures des institutions européennes au moment de sa remise de prix, il a aussi été l’une des voix paysannes la plus fortement entendue en Grèce depuis le début du soulèvement agricole qui secoue l’Europe entière depuis plus d’un an maintenant.

Quand on l’a appelé, Thomas avait quelques minutes de retard mais il venait juste de donner naissance à deux agneaux, l’excuse était valable. On est rentré dans le bain directement quand il nous a dit avoir deux procès sur le dos suite à ses actions pendant ce mouvement de colère, et que cela n’était pas sans rapport avec la visibilité qu’il a depuis cette période. En effet, dès janvier 2024 et inspiré par ce qu’il a vu en France sur les réseaux sociaux, il a été le premier en Grèce à envoyer du lisier sur les bâtiments de l’Etat et est poursuivi pour cela. On lui reproche aussi d’avoir bloqué les douanes à la frontière avec la Macédoine en novembre 2024, lors de la reprise du mouvement en Grèce, pour empêcher les camions de marchandises d’entrer sur le territoire grec. Toutes ces actions, Thomas et son frère les ont menées avec leur organisation : le Syndicat Paysan de Kastoria, qui compte environ 80 membres.

Mais pourquoi les paysans grecs se sont-ils mobilisés ? D’abord pour exiger des prix garantis, qui couvrent les coûts de production, une PAC qui soutienne les petits et moyens agriculteurs, un prix du carburant agricole distinct et inférieur au prix public ; pour diviser par 2 le prix de l’électricité (nécessaire à l’irrigation, indispensable dans ces régions arides) et multiplier par 2 les retraites agricoles (370 €/mois pour une carrière complète), pour accélérer les remboursements de l’assurance publique (qui prennent 1 à 2 ans parfois) et obliger à avoir des agriculteurs dans la structure de gouvernance ; et enfin pour permettre aux paysans d’installer des éoliennes et des panneaux solaires sur leur toit et interdire l’agrivoltaïsme et l’éolien pour « des grandes entreprises énergétiques venues d’Allemagne, d’Italie ou des Pays-Bas qui veulent s’accaparer les terres agricoles pour leur profit ». L’arrêt du libre- échange pour les produits agricoles s’est ajouté aux revendications des paysans grecs mobilisés depuis novembre 2024. L’abandon de l’accord de libre-échange UE-Mercosur est notamment au centre du viseur, et la conclusion des négociations pour cet accord le 6 décembre 2024 par la Commission Européenne et Ursula Von der Leyen a alimenté la colère des paysans grecs qui ont fortement repris les mobilisations ces dernières semaines avec près de 30 blocages en cours partout dans le pays et la possibilité de venir s’installer à Athènes.

Plus de 2 000 km et 7 pays séparent Paris et Athènes, et de grandes différences séparent les modèles agricoles grec et français, et pourtant les raisons de la colère agricole et des mobilisations semblent si proches. Les adversaires politiques semblent aussi être les mêmes : l’Etat et les accapareurs de terres, d’aides et du revenu paysan.

En effet, l’agriculture en Grèce est encore majoritairement réalisée sur de petites structures familiales, avec une surface moyenne de 4.8 ha (2010, contre 69 ha en France) et près de 13 % de la population active qui travaille en agriculture (2010, contre 2.7 % en France), et produit majoritairement des fruits et légumes, des olives et des produits laitiers caprins et ovins. Comme nous le dit Thomas : « le monde agricole grec est peu structuré, il n’y a pas de grande fédération des syndicats au niveau national mais plutôt de petites organisations indépendantes, dans chaque région, comme ici à Kastoria ». C’est d’ailleurs en ça que réside un des blocages qu’ils ont connus pendant les manifestations, « il n’y pas d’organisation qui permet de coordonner les actions au niveau national et c’est ce qu’on cherche à créer suite aux mobilisations ». Il raconte : « beaucoup d’agriculteurs grecs ne comprennent pas notre pouvoir. Ce que je leur ai dit pendant les mobilisations, c’est que la stratégie est simple : il faut leur foutre la pression ! Il faut faire le plus de dégâts économiques possible en bloquant les ports, les aéroports, les douanes, et il faut défier le pouvoir de l’Etat en s’en prenant à ses symboles : d’où l’utilisation du lisier sur les façades des bâtiments officiels ». Le bagout de Thomas et de son frère y sont sans doute pour beaucoup, mais cette stratégie a fait des émules et s’est répandue dans plusieurs régions de Grèce, puisqu’une douzaine de syndicats les ont appelés pour voir comment coordonner leurs actions. Le résultat cette année : « 5 syndicats ont jeté du lisier et 2 ont bloqué des ports », efficace. Ces actions leur ont valu un large soutien populaire : « Les gens nous soutiennent, ils sont venus aux manifestations qu’on a organisées en ville et nous ont accueilli avec des fleurs quand nous sommes entrés dans Athènes, c’était un moment très fort ». Même les camionneurs bloqués aux douanes approuvent leur mouvement : « Quand les journalistes leur ont demandé « êtes-vous énervés contre les agriculteurs qui vous empêchent d’avancer ? », ils ont répondu qu’ils nous comprenaient et nous soutenaient ».

Cependant, si une organisation paysanne plus large, au niveau national, lui semble indispensable, cette possibilité fait face à de nombreux verrous : « les gros syndicats sont contrôlés par les partis et leur stratégie est la même depuis toujours : aller sur le bord de la route et demander au gouvernement de répondre à leurs demandes. Ça ne marche pas ». Il décrit: « L’an dernier, le Parti Communiste (PC) et les syndicats agricoles affiliés ont organisé une manifestation à Athènes, j’y suis allé et j’ai pris la parole : « Si le gouvernement ne répond pas aux demandes aujourd’hui, on bloque la raffinerie de pétrole et les tankers et c’est 1 million d’euros de pertes par jour de blocage ». Le gars du PC a dit : « S’ils ne répondent pas à nos demandes aujourd’hui, on rentre chez nous ». « Et c’est ce qu’il s’est passé » nous a-t-il dit tristement. Il ajoute: « le PC fait des erreurs, et je n’ai rien contre eux, j’ai été communiste et toute ma famille aussi, mais ils ont une vision dépassée et vivent dans un monde romantique ». Selon lui, ces syndicats ne jouent pas leur rôle de structure d’émancipation des paysans et d’organisation de moyens de pressions efficace, ce qui fait que « les paysans comprennent trop tard leur problème et que le rapport de force reste inégal ». Il imagine « un syndicat fort, qui informe véritablement ses membres. Le syndicat doit aussi être une menace financière. Le gouvernement doit savoir que lorsque les paysans s’énervent, il perdra de l’argent et du pouvoir. Il doit avoir peur des paysans et pas l’inverse ».

C’est sur ces paroles pleines de courage et de détermination qu’on s’est quittés, en espérant que le mouvement continue en Grèce et parvienne à dépasser les écueils qu’il rencontre actuellement. En tout cas la stratégie est claire et le chemin est tracé : Grèce-France même combat !

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